CHIBANIS, LES QUESTIONS
Questions que l’on n’osait se
poser, le temps des illusions, peu conscients que nous sommes des drames liés à
l’immigration qui s’accomplissaient dans le silence complice et l’indifférence.
Les espoirs déçus, l’oubli, le piège qui se referme sur cette génération
d’hommes et de femmes, aujourd’hui de vieux et de vieilles, qui pensaient,
après une vie de labeur, mériter un sort meilleur et qui sont en panne sur le
chemin du retour.
Questionner la perte de sens
d’une vieillesse justement qualifiée d’illégitime et vécue par les migrants
âgés comme une honte, notamment de « se laisser aller à rester » en terre
d’immigration, de se faire tout petit et de tenter de se faire oublier. La même
honte que l’hôte qui se sent devenir encombrant.
Questionner les
responsabilités : que représentent ces hommes pour leur pays et les leurs ? Des
immigrés qui n’ont pas vocation à vieillir, mais toujours des convertisseurs
d’euros, des « papas mandats », des
pères Noël chargés de cadeaux à chaque retour.
Questionner ce silence
assourdissant, comme s’il s’agissait d’un secret de famille, qui tait une vie
précaire, faite de privations et de renoncement, le sentiment de ne plus compter ou si peu qu’on finit par ne plus avoir de
consistance, comme « dématérialisé ».
Questionner l’écartèlement
entre ici et là-bas : la place probablement perdue là-bas, la place pas encore
acquise ici. C’est dans l’avion, dans les couloirs aériens que leur vieillesse
s’accomplit.
Questionner la maltraitance
des administrations qui s’acharnent à débusquer les « fraudeurs » qui se
seraient rendus coupables de se séjourner au milieu de leurs familles pour
retrouver un peu de réconfort auprès de leurs enfants et petits enfants.
Questionner ces contrôles
intempestifs qui prennent la tournure de « ratonade administrative » et qui
ciblent particulièrement ces hommes isolés, sans défense.
Questionner les dépouilles de
ces vieux migrants décédés seuls, découverts à l’odeur et rapatriées par fret
aérien comme une vulgaire marchandise.
Des questions et encore des
questions…
Il est grand temps de faire
les comptes, comme dans un exercice comptable, afin d’évaluer les pertes
réelles et symboliques, le délitement du lien social, voire, dans bien des
situations, la rupture consommée avec la famille et le pays.
Il est grand temps de
reconnaître l’apport de ces hommes et de ces femmes qui ont tant donné au pays
qui les a accueillis et qui se sont épuisés à la tâche, de prouver cette
reconnaissance par une belle ambition : les faire entrer en dignité.
Texte MONCEF LABIDI,
directeur de l’association Ayyem Zamen*
Café
Social Belleville et Café Social Dejean à Paris
*Ayyem Zamen : Le bon
vieux temps
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire